M. Night Shyamalan a connu un moment difficile à Hollywood. Après avoir rencontré un succès retentissant avec 6ème Sens (1999) et Le Village (2004), le réalisateur a du faire face à un passage à vide où il rencontra l’échec public et critique pendant plusieurs années. Oui mais voilà, Shyamalan n’a pas dit son dernier mot. Pas découragé, il est revenu en force en 2016 avec le surprenant The Visit qui lui permit de réparer l’affront qu’il connut pour une partie des années 2000. Son nouveau film Split, s’inscrit dans la veine de la réussite et confirme le retour du génie du plot-twist.
Split raconte l’histoire de trois jeunes filles qui se font kidnappées et enfermées dans une cave par un homme mystérieux. Alors qu’elles essaient de s’enfuir par tous les moyens possibles, elles réalisent que leur ravisseur est un homme peu commun. Il s’agit de Kévin, un jeune homme perturbé dont le corps est habité par 23 personnalités distinctes. Sa 24ème personnalité, la plus violente de toutes, est sur le point d’émerger et de rependre sa rage destructrice sur les lycéennes impuissantes. Karen Fletcher, la psychiatre de Kévin qui n’a bien évidemment aucune idée de ce que son patient s’apprête à faire, tente de l’aider à apprivoiser ses différentes personnalités, tout en essayant de prouver le potentiel de gens comme Kévin à la communauté scientifique. Le film explore les relations de ces femmes avec les personnalités de Kévin, tout en promettant une catastrophe inexorable à l’éveil de la 24ème personnalité.
Des personnages profonds
Ce qui distingue Shyamalan des autres réalisateurs, c’est la force de ses scénarios, dont la mécanique infernale promet toujours des fins surprenantes et pourtant géniales. Split ne déroge pas à la règle, Shyamalan sait faire preuve de précision à mesure qu’il entraine ses spectateurs dans la découverte des différentes personnalités de Kévin. En outre, il parvient à éviter l’écueil d’un personnage trop écrasant par rapport aux autres, puisqu’il offre à la principale antagoniste de Kévin, Casey, une psychologie complexe et développée, étayée par un passé mystérieux. Les victimes, qui d’ordinaire sont plutôt agaçantes, voire stupides, dans les films de ce genre, sont ici courageuses et par conséquent permettent aux spectateurs de réellement ressentir de la sympathie pour elles. Le personnage de Kévin est lui aussi très bien développé. Shyamalan ne se contente pas de le présenter comme un psychopathe assoiffé de sang aux multiples personnalités et lui fournit un passé pesant qui peut expliquer le problème de son personnage principal. D’aucun argumenteront que les passés respectifs de Kévin et de Casey sont peut être un peu trop simplistes pour réellement justifier les attitudes des personnages, il n’en reste pas moins qu’il est plaisant de voir des personnages un peu plus fouillés qu’à l’accoutumée et que cela favorise l’identification de l’audience. En effet, grâce à l’exploration du passé de Kévin, le réalisateur arrive à nuancer la perception qu’a le spectateur de lui en rendant son protagoniste tour à tour émouvant, sympathique, effrayant ou répugnant.
Une écriture ciselée
Les personnages sont donc bien écrits, à l’image de l’histoire qui plonge de plus en plus efficacement le spectateur dans l’angoisse. S’il faut reconnaître que la plupart des rebondissements du film sont prévisibles, Shyamalan semble suivre ici les leçons de cinéma de Hitchcock : le public sait ce qui va arriver, et il a peur parce qu’il est conscient de ce à quoi il va devoir faire face. Le film est par conséquent très efficace puisqu’il parvient à satisfaire son but premier : effrayer. Mais pas seulement ! Grâce au personnage de Karen Fletcher et à la manière dont les personnages sont savamment nuancés, le film offre également des pistes de réflexion en ce qui concerne les potentielles capacités surhumaines des personnes aux personnalités multiples. Shyamalan réussit par conséquent à fournir à ses spectateurs tant les frissons que la réflexion et les épargne d’un film d’horreur bête.
Une performance hors du commun
Si l’on peut saluer l’intelligence de l’écriture du film, c’est surtout la performance de James McAvoy qu’il faut célébrer. Incarnant tour à tour un homme d’âge moyen ultra strict et un enfant de 9 ans espiègle, une femme âgée effrayant de pragmatisme et un fantasque jeune designer de mode, McAvoy change de peau avec aisance comme si la tâche titanesque n’exigeait aucun effort. L’acteur n’est pas du tout aidé par les costumes ou le maquillage et ne modèle ses personnages qu’à la force de ses expressions faciales, de sa manière de se tenir, de se mouvoir et de parler. Sa prouesse est incontestable : les spectateurs ont réellement l’impression d’observer des personnages aux caractéristiques physiques et mentales différentes lorsqu’il font en réalité face au visage poupin de l’acteur écossais. McAvoy livre ici probablement une des performances les plus impressionnantes de sa carrière avec une telle maestria que cela semble presque facile pour lui et entre dans la catégorie des acteurs à surveiller de près.
Un rythme inégal
Le film souffre cependant de quelques faiblesses, notamment au niveau du rythme. Si les premières vingt minutes et la dernière demi-heure sont très intenses en terme d’informations et d’angoisse, le tempo du film est un peu lent en son second mouvement. Si la présence du personnage de la psychiatre apporte une très intéressante réflexion sur ce qui est considéré comme « anormal » dans notre société, les multiples rendez-vous de Kévin au bureau de ladite psy ralentissent cependant quelque peu le rythme du récit. En outre, certains peuvent s’agacer de l’aspect prévisible de la plupart des tours que prend le script. S’il est vrai que cela renforce l’angoisse et l’excitation du public quant à la chute, les vrais fans de thriller seront probablement déçus de toujours tout deviner avec un temps d’avance.
Un final décevant
De même, ceux qui espèrent effectivement faire face aux vingt quatre personnalités de Kévin risquent de ne pas trouver leur bonheur, puisqu’au final le réalisateur décide de n’en exploiter que cinq ou six. Néanmoins, il faut noter que cela permet aux spectateurs de mieux savourer les subtilités de chacune des personnalités au lieu de n’avoir accès qu’à des bribes de personnages à peine esquissées.
La fin un peu rocambolesque, et parfois peu crédible cause également un peu de perplexité de la part du spectateur et le dénouement quelque peu expéditif n’arrange pas les choses. Au final, si le film ne rentre pas aux panthéons des chefs d’œuvre, on retient la performance de McAvoy à ne louper sous aucun prétexte et on sort satisfaits de ce film qui semble signer le retour de Shyamalan, tout en espérant être encore plus surpris par la prochaine œuvre du cinéaste à l’esprit machiavélique.
Split:
Réalisé par: M. Night Shyamalan
Avec: James McAvoy, Betty Buckley, Anya Taylor-Joy