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"Moi, Tonya": L'hypocrisie Américaine






Moi, Tonya, un autre film primé récemment aux Golden Globes (meilleure actrice dans un second rôle pour Allison Janney) vient de sortir sur les écrans. Approchant la dramatique histoire vraie de Tonya Harding- princesse déchue du patinage artistique des années 1990- comme une comédie, le film offre un point de vue original sur une histoire qui secoua l’Amérique.




Le film raconte le parcours de Tonya Harding, une jeune fille née dans les quartiers populaires de Portland en Oregon dans les années 1970. Depuis son plus jeune âge, Tonya (McKenna Grace) est animée par sa passion pour le patinage artistique, et encouragée dans cette voie par sa mère (Allison Janney) qui a de très hautes attentes pour elle. Très vite, Tonya se démarque des autres de par son talent, mais également de par sa pugnacité qui confine aux limites de l’agressivité. La mère de Tonya, prête à tout pour voir sa fille briller, l’influence en effet à se montrer parfois cruelle vis-à-vis de ses concurrentes. En outre, constamment imbibée d’alcool, Madame Harding n’hésite pas à se montrer violente avec celle pour qui elle rêve de grandeur, afin que celle-ci ne se laisse pas attendrir. L’habitude d’être battue suit Tonya jusqu’à l’âge adulte, puisque à quinze ans (et maintenant incarnée par Margot Robbie), elle rencontre celui qui va devenir son mari Jeff (Sebastian Stan), lui aussi très violent à son égard. Les malheurs de sa vie personnelle vont peu à peu avoir un impact sur sa carrière de patineuse, tant et si bien que sa sélection dans l’équipe Américaine pour les Jeux Olympiques d’hiver de Lillehammer de 1994 risque d’être compromise. Influencés par une menace de mort dont Tonya a été victime, Jeff et son ami Shawn décident de prendre les choses en main et d’influencer le destin en faveur de Tonya en incapacitant une des ses grandes rivales. Seulement ils se retrouvent très vite dépassés par leurs actions qui risquent d’entacher la réputation déjà peu reluisante de Tonya.



Une approche originale


Le film tente un pari osé en adoptant une approche originale pour un biopic, puisqu’il aborde l’histoire sous l’angle de la comédie, là où la plupart des films du genre se cantonnent au drame. L’histoire elle-même est très intéressante puisqu'elle approche des thèmes passionnants : le dépassement de soi, la rivalité et les relations toxiques; et pose la question de ce qui fait un grand athlète : une détermination sans borne ou un fairplay moral. Le fait d’en faire une comédie rend le film moins indigeste, prétentieux et déprimant que ce qu’il pourrait être sinon ; de ce fait le film a le mérite de rendre le personnage de Tonya très humain en levant le voile sur les parties sordides de son histoire tabou.



Une reconstitution méticuleuse


La plus grande qualité du film est probablement sa méticulosité quant à la reconstitution des lieux, costumes et personnages. Chaque acteur/actrice est parfait-e dans son rôle et rendu-e extrêmement ressemblant au personnage qu’il ou elle interprète. Allison Janney, notamment est impressionnante et méconnaissable dans son rôle de la très sévère et politiquement incorrecte mère de Tonya. Son jeu est d’un comique grinçant. Il est presque regrettable de ne pas voir plus souvent son personnage à l’écran au cours du film. Les costumes et les chorégraphies de Tonya sont également bluffants de ressemblance et de fait plongent totalement les spectateurs dans l’ambiance du film.



Fais ce que je dis pas ce que je fais


Malheureusement pour Moi, Tonya la liste de ses qualités s’arrête ici. Car malgré une histoire passionnante, un point de vue original, une reconstitution fidèle et des acteurs compétents, le film n’offre pas grand chose d’intéressant. Ce n’est pas qu’il manque de qualité, mais plutôt qu’il souffre d’un grand défaut : il s’agit d’un film abject. En effet, on a rarement vu au cinéma une telle matérialisation du « fais ce que je dis pas ce que je fais ». Le film se veut être une critique grinçante de l’Entertainment américain, de son hypocrisie et de ses conséquences sur les individus mis sous les projecteurs. Ainsi, dans son très bon dernier quart d’heure, il offre une réflexion passionnante sur comment le public étatsuniens adore s’extasier sur des héros nationaux pour finalement les abandonner cruellement non sans les avoir transformer en monstre prêt à tout pour continuer à obtenir l’attention qu’ils ont l’habitude de recevoir. Le film critique donc la friandise de ce peuple pour la bêtise, la méchanceté et le sordide qu’il tourne en spectacle. Seulement, c’est exactement ce que le film fait ! En mettant l’accent sur le manque d’éducation et la stupidité de Tonya et de ceux qui l’entourent, Moi, Tonya transforme la dramatique histoire de Harding en une farce glauque. La photographie est grandiose lors des prestations de Tonya sur la glace là où elle devient banale lorsqu’il s’agit de dépeindre les conditions de vie de la jeune femme, ce qui consolide l’impression que le film n’éprouve que du dédain pour la basse condition de Tonya.



Une comédie ratée


Le format de comédie du film renforce ce constat. En effet, bien que le but recherché n’est probablement pas celui atteint, le film semble se moquer de Tonya, de son mari et de leur ami en mettant en avant leur aspect vil et irréfléchi. S'il s’était contenté de rire de la situation, le film aurait pu être une pépite d’humour noir. Au final, il porte un regard condescendant et artificiel sur ses protagonistes. Le film aurait également pu être épique s’il se concentrait réellement sur les sujets qu’il effleure au lieu de ridiculiser ses personnages. Certaines scènes, comme celle où Tonya fait face à son reflet dans le miroir avant sa dernière performance olympique ou celle du tribunal sont d’ailleurs des petits bijoux extrêmement touchants puisqu’elles approchent ce que le reste du film ignore : la relation d’attraction/repulsion que Tonya entretient avec le patinage. Le choix d’en faire une comédie, plutôt qu’un risque artistique, apparaît de ce fait comme une stratégie pour assurer un maximum récompenses aux différentes cérémonies, puisque beaucoup d’entre elles différencient la comédie du drame, catégorie dans laquelle Moi, Tonya n’aurait eu aucune chance.



Une pseudo-neutralité


Par ailleurs, Moi, Tonya utilise des séquences de fausses interviews pour raconter son histoire. De même, ses comédiens s’adressent parfois directement à la caméra pour renforcer la subjectivité du film et son aspect comique. De ce fait, le film a surtout l’air de vouloir se dédouaner de toute opinion. En faisant s’exprimer ses protagonistes sur cette affaire sensible, Moi, Tonya indique ici clairement que tout ce qui est dit n’est qu’une des interprétations possibles du drame. Le film va même jusqu’à montrer une version des faits dans laquelle Tonya est la véritable auteure du méfait pour lequel son mari est incriminé afin de ne laisser de côté aucune piste. Cette façon de vouloir éviter de produire une vraie opinion et d’au contraire suggérer toutes les options possibles pour se donner un air neutre alors que le film juge son héroïne et la traite d’une manière condescendante est à l’image du reste du film : abjecte et hypocrite.




Moi, Tonya aurait pu être un magnifique film sur le dépassement de soi et la difficulté de se trouver sous les projecteurs. Au final, son approche, bien qu’originale, le rend hypocrite et fataliste. Les performances de chacun des acteurs principaux sont à sauver, le reste, à oublier, si on parvient à se remettre de l’énervement causé par une telle hypocrisie.

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