Le premier film de la Française Julia Decournau fait beaucoup parler de lui depuis sa projection au festival de Toronto en septembre dernier, où deux spectateurs de la séance de minuit se sont évanouis à la vue des images très gores que propose Grave . S’il est vrai que le film n’est pas des plus ragoutants, il faut tout de même relativiser la réputation que les médias s’appliquent à lui créer. En effet, bien plus qu’un film d’horreur gore scandaleux et racoleur, Grave est un petit bijou d’intelligence aux références subtiles et à l’esthétique brute qui réinvente le genre tout en suggérant un renouveau dans le cinéma français.
L’histoire est celle de Justine, une jeune surdouée qui intègre l’école vétérinaire que ses parents ont fréquentée avant elle et où sa sœur étudie en deuxième année. Lors d’une épreuve de bizutage, Justine est contrainte à manger de la viande crue alors qu’elle a grandi dans une famille de végétariens. Elle constate alors que son corps réagit de manière étrange à cette ingestion et se découvre un appétit vorace pour la viande humaine.
Un film d’exploitation non racoleur
Le thème du cannibalisme est assez populaire dans le genre de l’horreur d’exploitation (les films d’exploitation sont réalisés en évitant des dépenses de production trop importantes et en misant sur des sujets attirants de par leurs aspects violents ou sexuels pour atteindre un succès commercial). Par conséquent, et prenant en considération la réputation que les médias construisent au film, il n’est pas étonnant que **Grave** soit perçu par la plupart comme un stupide film gore. Il n’en est rien. A travers sa première œuvre, Decournau tente principalement de faire réfléchir son audience à la perception de son propre corps, aux bizutages estudiantins et à la découverte initiatique de la chair des adolescents encore vierges.
Un film hybride
Le film est donc un hybride, à l’image de son héroïne mutante. Il mêle en effet les thèmes des films d’horreur, évidemment ; mais aussi ceux du film expérimental puisque le but premier de Decournau est d’offrir une réflexion sensorielle sur le corps, à la fois celui présent sur l’écran et celui des spectateurs dans la salle ; du drame familial à travers l’exploration des liens fraternels ; du western puisqu’il met en scène la découverte et la conquête d’un espace hostile et de la comédie car, grâce à sa mise en scène, à la manière dont la réalisatrice joue avec les attentes des spectateurs et surtout à la musique, le film est extrêmement drôle.
Le bal des actrices
Les acteurs, Garance Marillier et Ella Rumpf en tête, sont excellents et contribuent grandement à la réussit du film puisqu’ils rendent crédible cette histoire improbable ainsi que certaines scènes qui auraient pu paraître grotesques. La direction de ces jeunes acteurs est excellente, Ducournau crée une chorégraphie pour ces corps juvéniles et parvient ainsi à unir la grâce et la délicatesse au gore et à l’horreur. Le travail sur la photographie contribue également à rendre le film enchanteur malgré son sujet ingrat en mêlant un style très naturaliste pour les scènes de classe et de bizutage, et beaucoup plus évaporé et poétique pour celles de soirées et de « métamorphose ».
Des pistes de réflexion intelligentes
En somme, le film de Decournau est très intelligent et peut être vu à plusieurs niveaux. Ceux qui recherchent les frissons seront satisfaits de se trouver face à un vrai film d’horreur qui stimule les corps. Ceux qui souhaitent aller plus loin apprécieront les métaphores et les idées de génie qui parsèment l’œuvre et sont sujets à réflexion: le fait que Justine veuille rejoindre une école vétérinaire est intéressant puisqu’il permet de comparer la manière (similaire au final) dont les bizus et les animaux qu’ils côtoient sont traités. La manière, très animale aussi, dont la sexualité est approchée renforce cette comparaison adolescents/animaux. Et enfin, le choix du cannibalisme comme thème principal du film afin d’approcher la découverte de la chair tant sexuelle que « gustative » prouve que Decournau a réfléchi intelligemment à son film. Plus qu’un banal film d’horreur, elle offre aux spectateurs une expérience sensorielle et intellectuelle, et signe le renouveau du jeune cinéma indépendant français.
Grave:
Réalisé par: Julia Decournau
Avec: Garance Marillier, Ella Rumpf, Rabah Nait Oufella