On dit souvent que les films ne sont pas à la hauteur des romans dont ils sont adaptés. Cela a rarement été aussi vrai qu’avec L’Idéal. Frédéric Beigbeder produit ici une version pour les écrans de son livre Au Secours Pardon paru en 2007. Si l’on retrouve le thème principal du roman ainsi que quelques unes des ses meilleures lignes, le film ne possède pas du tout la poésie cynique et désespérée du livre et passe donc plus pour un divertissement légèrement contestataire que pour le pamphlet glamour qu’il souhaiterait être.
L’histoire est celle de Gustave Parango (Gaspard Proust), déjà héro du roman 99 Francs (2000), et alter-ego de Beigbeder, qui après des démêlés compliqués avec la justice, décide de se reconvertir dans le « model scouting » en Russie. Son nouveau métier consiste donc à chercher les nouveaux visages des grandes entreprises et de trouver les mannequins qui rapporteront le plus d’argent possible au système capitaliste qu’il se complait pourtant à critiquer acerbement. Le cynisme d’Octave ne l’empêche cependant pas de profiter de manière hédoniste des mannequins qu’il engage en leur promettant monts et merveilles et des soirées luxueuses de ses amis oligarques. Jusqu’au jour où il est contacté par l’entreprise numéro un de cosmétique mondiale, L’Idéal, placée dans une position délicate par l’actrice qui la représente. Octave a sept jours pour trouver une nouvelle égérie à la fois sexy et pure au fin fond de la Russie. Il est épaulé dans cette mission par Valentine Winfeld (Audrey Fleurot), la directrice visuelle autoritaire de la marque.
Une adaptation plus dynamique
L’idée qu’a trouvée Beigbeder pour convertir son roman en film est à l’origine plutôt bonne. Si dans les deux cas, Octave se devait de trouver une nouvelle égérie pour la compagnie, l’échéance qu’il fixe à son personnage dans le film promet une recherche plus dynamique, et par conséquent des ressorts scénaristiques intéressants. Rendre L’Idéal plus présente dans la décision est également une bonne idée à la base, puisqu’elle permet aux spectateurs de s’introduire dans les réunions de la compagnie, et offre à Beigbeder la possibilité de souligner l’absurdité d’un tel système d’une manière très efficace, tout en offrant des scènes très drôles. Le personnage de Jonathan Lambert, la patronne de L’Idéal, est notamment très amusant, et l’acteur est parfaitement décalé dans le rôle.
Une jeune première enchanteresse
Autre beau rôle pour une belle actrice, c’est celui de Lena, jouée par Anamaria Vartolomei. La jeune actrice, qu’on a pu voir exceller il y a quelques années dans My Little Princess (2011), fait encore une fois preuve de maturité dans son interprétation. Sa beauté, mais aussi sa manière de parler et de se mouvoir sont complètement hypnotiques. Beigbeder décide de reposer complètement sur le naturel de Vartolomei et ne cherche pas du tout à la sublimer à l’aide d’artifice ou de procédés de mise en scène. Ce choix mérite d’être salué, car le réalisateur prend ici le parti d’éviter la voie de la facilité, tout en rendant le propos de son film encore plus fort en opposant le magnétisme brut de Vartolomei/Lena aux modèles grotesques aberrants de superficialité que sacralisent les entreprises de cosmétiques comme L’Idéal dans le but de vendre.
Une ambiguïté mal assumée
Néanmoins, c’est seulement dans la mise en scène de Lena que Beigbeder parvient à faire preuve de subtilité. Le reste du film -du moins pour les scènes établies en Russie- se perd complétement dans une représentation d’un burlesque ridicule. On comprend bien que le but du réalisateur est de se moquer du monde qu’il tente de montrer- celui des oligarques, de la coke et de l’alcool à profusion; des models rachitiques prêtes à tout pour percer et des entreprises capitalistes prêtes à tout pour vendre. Le problème, c’est que- tout comme son alter-ego Gustave- il semble se complaire dans ce monde vain. L’ambiguïté de Beigbeder à ce niveau n’est pas nouvelle: il a toujours été le premier à se moquer des codes de beauté et des fêtes mondaines, tout en se réclamant fièrement d’aimer les belles femmes et les soirées décadentes. Elle n’est pas vraiment dérangeante non plus puisqu’elle fait de lui un poète désabusé, un drogué de la beauté qui pourtant rejette ce qu’elle symbolise, un esthète déchiré à l’image des plus grands auteurs cyniques français C’est même cette ambivalence qui d’habitude rend les œuvres de l’écrivain/réalisateur si intéressantes. Ce qui dérange ici, c’est que là où il est subtile, cynique, désabusé et poétique dans Au Secours Pardon, il devient caricatural, balourd et même légèrement manichéen dans son adaptation.
Du cynisme maîtrisé à la comédie balourde
En effet, la relation entre Gustave et Lena, une liaison aux airs assumés de Lolita qui offre un joli plot-twist dans le livre, est ici grossièrement présentée et ainsi dépourvue de finesse, de poésie et de surprise. De ce fait, le personnage de Gustave perd toute sa subtilité et ses nuances : de dandy cynique qui se délecte de ce qui le détruit, il se transforme simplement en quarantenaire plein de bonne volonté mais paumé face à ses responsabilités. Le film perd dès lors le seul élément qui le sauvait réellement : son humour noir, pour verser dans un humour de comédie familiale; et ni le talent de Proust et de Fleurot, ni la manière énamourée dont Beigbeder filme ce qu’il trouve beau ne suffisent à sauver le film.
Une oeuvre agréable mais pas mémorable
En somme, cette adaptation-difficile il faut le reconnaître- d’un livre à la fois beau et toxique ne prend pas. Beigebeder essaie ici de montrer que malgré son ambiguïté il reste un homme bien, et dans cette tentative rend son film limite moralisateur. Malgré ses qualités d’esthète, il rend ici laid et grotesque ce qu’il arrivait à présenter comme beau bien qu’absurde dans le livre. Le cynisme laisse place à un humour balourd, et les bonnes idées de mise en scène ne sauvent pas l’œuvre. Le film reste malgré tout agréable à voir, il est seulement bien en deçà du livre dont il est adapté et des capacités de Beigbeder.
L'Idéal:
Réalisé par: Frédéric Beigbeder
Avec: Gaspard Proust, Audrey Fleurot, Anamaria Vartolomei, Jonathan Lambert